vendredi 26 décembre 2014

Lire Lolita à Téhéran

Azar Nafisi


Le sujet 

Azar Nafisi est d'origine Iranienne.
Avant de fuir l'Iran pour les Etats Unis, elle a longtemps enseigné la littérature anglo saxonne à l'université de Téhéran, et a vécu l'avant/pendant/après Révolution.
Madame Nafisi nous raconte donc la Révolution Islamique Iranienne au travers de son métier de professeur.

Mon avis

J'ai aimé... beaucoup

Ce livre est bouleversant.
Extrêmement bien écrit (et traduit), j'y ai énormément appris.

Tout d'abord sur des livres que j'avais déjà lu sans approfondir (notamment Orgueil et Préjugés de Jane Austen) grâce aux extraits de cours retranscrits dans le livre.
Mme Nafisi nous parle ainsi de Lolita de Nabokov (que je n'avais pas lu mais pour le coup, le thème est tellement terrible que je ne le lirai pas!), de Daisy Miller de Henry James, de Gatsby de Francis Scott Fitzgerald et d'Orgueil et Préjugés.


Enfin et c'est ce que j'ai préféré, sur l'histoire de la révolution islamique en Iran.
Je ne savais que très peu de choses sur le sujet et ce livre nous raconte étape par étape ce qui s'est passé. Avec la page Wikipedia dédiée au sujet à côté, on recolle tous les morceaux et on suit bien la chronologie.

J'ai vraiment pris conscience de l'horreur de ce régime à ses débuts (et pas qu'à ses débuts), particulièrement envers les femmes.
Madame Nafisi lutte tout d'abord, refuse de se plier à ce gouvernement et continue d'enseigner cette littérature occidentale décadente.
Puis devant les menaces, et suite à son renvoi de l'université elle abandonne et se consacre à la lecture.

Une émissaire de l'université Tabatai de Téhéran, supposée libérale, vient la chercher afin qu'elle reprenne l'enseignement de la littérature anglo-saxonne. Mme Nafisi hésite, puis accepte, décidant de ne pas se laisser intimider par le régime islamique alors en place.
Elle rencontre lors de ses cours des jeunes femmes issues de tous les milieux et d'histoires différentes, et décide de les réunir tous les jeudis lors de séminaires.
Mme Nafisi nous raconte leurs histoires, leurs réunions, leurs chagrins d'amour, leurs frustrations vis à vis du régime. On plonge alors totalement dans la vie de ces femmes.

Extraits

Page 116
Le pire des crimes que commettent les systèmes totalitaires est de forcer tous les citoyens, y compris ceux qu'ils emprisonnent, torturent et exécutent, à devenir complices de leurs crimes. Il n'y a rien de plus terrible que de danser avec ses géôliers, de participer à sa propre exécution. Voilà à quoi assistaient mes étudiantes quand elles regardaient les procès retransmis à le télévision, voilà ce qu'elles vivaient elles même chaque fois qu'elles sortaient dans la rue habillées comme on leur disait de le faire. Elles n'allaient pas avec la foule assister aux exécution, mais elles ne pouvaient pas non plus exprimer leur désapprobation.
Il n'y a qu'une façon de sortir du cercle, d'arrêter de danser avec le géôlier. Il faut trouver le moyen de préserver sa propre individualité, cette qualité unique qui échappe à la description, mais différencie un être humain d'un autre. Voilà pourquoi dans ce genre de monde les rituels, des rituels vides, deviennent centraux.

Page 212 - Tentative de fermeture des universités au début de la révolution islamique
Pour empêcher sa fermeture, les étudiants occupèrent l'université. Ils y restèrent jusqu'à ce qu'on les en expulse, dans ce qui se termine presque, bien que seules les forces du gouvernement fussent armées, en un combat sanglant au cours duquel la milice et les gardiens de la révolution envahirent le campus. (...) 
Peu après, les représentants du gouvernement réussirent à fermer les universités. Ils éliminèrent des professeurs, des étudiants et de membres du personnel. D'autres disparurent simplement. L'université de Téhéran était devenu le lieu de trop de déception de chagrins, de blessures.

Page 221 - La Guerre Iran-Irak
La guerre est arrivée un matin, soudaine, inattendue.
Elle a été annoncée à la radio le 23 septembre 1980. (...)
Qu'est ce qui a entraîné la guerre?
Etait-ce l'arrogance des révolutionnaires islamistes qui passaient leur temps à provoquer les régimes du Moyen Orient qu'ils déclaraient réactionnaires et hérétiques, et incitaient les peuples de es nations à se soulever contre leurs dirigeants? Etait-ce l'animosité particulière dont le nouveau régime iranien faisait preuve envers Saddam Hussein qui avait expulsé l'ayathollah Khomeyni d'Irak à la suite d'un accord qu'il aurait passé avec le Chah?
Etait-ce la vieille hostilité qui régnait entre Irak et Iran et le fait que les Irakiens, auxquels les Occidentaux, hostiles au nouveau gouvernement révolutionnaire iranien avait promis de l'aide, avaient rêvé d'une victoire aussi facile que rapide?

Page 223 - La guerre Iran-irak
Au début, elle sembla réunir le pays au delà de ses divisions internes. Nous étions tous des Iraniens, et nos voisins nous attaquaient. Beaucoup d'entre nous, pourtant, n'avaient pas le droit de participer pleinement, à la lutte contre l'ennemi qui menaçait notre patrie.
Du point de vue du régime, l'Irak de Saddam Hussein n'avait pas simplement attaqué l'Iran. Ils s'en étaient pris à la République Islamique . C'était donc à l'Islam qu'il déclarait la guerre.

Cette polarisation sur l'aspect religieux du conflit rendait confus jusqu'au moindre aspect de la vie quotidienne. Ces forces de Dieu ne combattaient pas qu'un seul émissaire de Satan, à savoir l'Irak de Saddam Hussein, mais tous les agents du Malin qui se trouvaient aussi à l'intérieur du pays.
Jamais, du début de la révolution jusqu'à la fin de la guerre et même ensuite, le régime islamique n'oubliera sa sainte bataille contre les ennemis internes. Toute forme de critique était maintenant considérée comme inspirée par les Irakiens et dangereuse pour la sécurité nationale. Les groupes ou les individus qui n'étaient pas loyaux à l'Islam prôné par le régime se retrouvaient exclus de l'effort de guerre.

Page 234
Il ne fallut pas longtemps au gouvernement pour faire instaurer une nouvelle réglementation qui limitait la liberté des femmes en matière d'habillement et les obligeait à porter le tchador ou la longue robe et le foulard.
L'expérience avait prouvé que ces dispositions ne seraient suivies que si elles étaient imposées par la force. Du fait de l'opposition écrasante des femmes à ces lois, le gouvernement les fit d'abord appliquer sur les lieux de travail, puis dans les boutiques où vendre à une femme voilée devint interdit.
Toute désobéissance était punie d'amende, de flagellations pouvant aller jusqu'à 76 coups de fouet, et de peines de prison. Plus tard le gouvernement créa les célèbres brigade de l'ordre moral. Quatre hommes ou femmes patrouillaient dans les rues en Toyota pour veiller à l'application de la loi.

Page 331 - La mort de Khomeyni
Moins d'un an après l'accord de paix, le samedi 3 juin 1989, l'ayatollah Ruhollah Khomeyni mourut. (...)
Avant de rendre la nouvelle publique, le gouvernement avait pris la précaution de fermer les aéroports, les frontières, et les lignes téléphoniques internationales. (...)
Ma fille qui avait alors 5 ans, regardait par la fenêtre. Soudain, elle se retourna et cria "Maman, maman, il n'est pas mort! Les femmes portent encore le foulard!! Depuis, j'ai toujours associé la mort de Khomeyni à cette phrase de Negar, car elle avait raison. Il ne sera vraiment mort que le jour où les femmes ne porteront plus toutes le foulard dans la rue. Alors seulement cette révolution prendra fin. Jusque là, nous continuerons à vivre avec lui. 
Le gouvernement décréta cinq jours de deuil national et quarante jours de deuil officiel. Les écoles et les universités furent fermées.

Page 338
Au début de la révolution, le bruit avait couru qu'on pouvait voir sur la lune le portrait de Khomeyni. Beaucoup de gens, mêmes cultivés, finirent par le croire. Ils l'avaient vu sur la lune. L'ayatollah avait fabriqué des mythes, en toute connaissance de cause. Il s'était lui même transformé en légende. C'était en fait la mort d'un rêve que les gens pleuraient lorsqu'ils se décida enfin, à disparaître, car après la défaite et le désenchantement, mourir était la seule chose qui lui restait à faire.

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